jeudi 15 janvier 2015

Mesurer la taille d'une molécule de savon (Expériences bibliques sur la tension de surface #2)

Et voilà, encore une fois, Noël est passé comme un photon solaire : bien trop vite et en ignorant la moitié de la planète. Mais que cela ne m'empêche pas de vous adresser mes meilleurs vœux ! Comme annoncé dans l'ancien testament, voici venir l'épisode 2 des expériences bibliques sur la tension de surface, consacré aux tensio-actifs. Au menu : expériences faciles et mesure de la taille d'une molécule de savon, livrées avec leurs bonus bibliques. Si vous avez des lacunes en hébreu, en écritures saintes et que le terme tension de surface ne vous dit rien, je vous laisse réviser les grands principes dans l'épisode précédent.

Previously, in desperate liquids :
Jésus a multiplié des céleris et a décidé de ne plus s'épiler les jambes. Les liquides sont toujours tiraillés entre gravité et tension de surface. Cette dernière les pousse à minimiser leur surface d’exposition et à s’organiser spontanément en boules ou en gouttes. Outrées par ce dictat communautariste, quelques décilitres d'eau fuient dans l'espace. Las, la tension superficielle les rattrape et leur passe un savon.
L'eau dans l'espace est une sacrée tannée 
Bon, les liquides aiment se mettre en boule, on a compris. Cet effet est parfois recherché, comme dans le cas des poêles antiadhésives ou des murs rendus imperméables : on minimise ainsi la surface de contact entre le liquide et la surface à protéger. Au contraire, dans d'autres cas, on aimerait que le liquide s'étale le plus possible et imbibe la surface, au lieu de se rebiffer comme Marty McFly devant Biff. Le mascara, les pesticides et l'encre d'imprimante par exemple, sont des liquides qu'il faut forcer à s'étaler. Pour dompter la tension de surface, les scientifiques ont développé des produits et des matériaux qui modifient le comportement des liquides. Aujourd'hui, on s'intéresse aux tensioactifs : des molécules complètement schizophrènes qui ont des effets dramatiques.

Instant biblique : "Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna en disant : « Buvez-en tous, car ceci est de l'encre de poulpe".

Le schisme des tensioactifs

Les tensioactifs sont des molécules aussi asymétriques que Louis Bertignac : l’une de leurs extrémités est attirée par l’eau (elle est hydrophile), l’autre la fuit comme la peste (elle est hydrophobe). On dit qu’elles sont amphiphiles. Les tensioactifs les plus couramment utilisés dans la vie quotidienne sont les savons et les détergents. Les premiers sont destinés à la toilette, et les seconds, plus agressifs, au nettoyage.

Le dodécylsulfate de sodium (SDS) par exemple, est un tensioactif puissant que l'on retrouve dans les shampoings, le dentifrice, certaines drogues, et de façon générale, dans tout ce qui a besoin de mousser. Comme les molécules de savon, il est composé d'une longue chaine d'atomes de carbone et d'hydrogène (en gris et blanc dans la figure ci-dessous) et d'une tête où l'on retrouve le sulfate de sodium (en rouge et jaune).

La chaine carbonée est un hydrocarbure, comme le pétrole, et ne se mélange pas avec l'eau (par contre, elle aime l'huile). La tête en revanche, porte des atomes d'oxygène et une charge électrique négative, ce qui attire les molécules d'eau. Autrement dit, les deux parties de la molécule ont des propriétés antagonistes : la tête aime l’eau et la queue aime la graisse (ne pas sortir cette phrase de son contexte), et vice et versa. Il en résulte que, plongée dans l'eau, la molécule se débrouille pour flotter à la surface, en ne mouillant que la tête.

Lorsque l’on rajoute du savon ou du détergent dans l’eau, les molécules s’étalent de façon à occuper la totalité de la surface, forçant les molécules d’eau à réintégrer le volume du liquide. Le schéma ci-dessous montre comment des molécules de détergents (SDS) se comportent dans l’eau :
Instant biblique : Travail de réflexion : sommes-nous comme des molécules de détergents ? Prompts à se répandre superficiellement, en marchant sur la tête ?

Cette nature duale confère aux tensioactifs des propriétés très utiles ; elles sont capables, entre autres, d’abaisser la tension superficielle d’une goutte de liquide. Le liquide aura alors moins de force pour garder sa jolie forme sphérique, et cédera plus facilement aux charmes de la pesanteur, en s'étalant comme une mer.. flaque. Pour s’en convaincre, on peut reprendre l'expérience du trombone et du verre d’eau. Avec un peu de dextérité, il est en effet possible de faire flotter un trombone à la surface de l’eau : la surface de l’eau se déforme sous son poids mais parvient à le porter.

Il suffit maintenant de verser une goutte de liquide vaisselle dans le verre. La tension de surface chute brutalement et le trombone coule.

Pour illustrer le phénomène d’étalement des molécules de savon, on peut réaliser l’expérience suivante : dans un saladier rempli d’eau, on dispose quelques allumettes au centre de la surface de l’eau (ça marche aussi avec n'importe quel truc léger qui flotte). Puis on verse une goutte de savon liquide au centre. Les allumettes sont instantanément repoussées vers les bords : les molécules de savon ont occupé la surface.


 Dans le même genre, vous pouvez réaliser la jolie expérience suivante :


Instant biblique : "Moïse étendit sa main sur le lait et versa sept fois soixante-dix-sept gouttes de savon. Et les colorants se dispersèrent. L'Éternel s'adressa à Moise : "C'est joli, je vais poster la vidéo sur Yahvétube.".

L'arche de Noé propulsée par la tension de surface

Pour s'amuser encore un peu avec l'effet d'étalement rapide, on peut réaliser cette petite expérience avec trois fois rien : un bout de carton, de papier rigide ou de plastique en guise de bateau, du liquide vaisselle, et un récipient rempli d'eau. Commencez par confectionner le bateau, en réalisant quelque chose comme ça :
Bateau en papier ou en carton, crédits : Science by Email
L'important, c'est ce petit trou triangulaire à l'arrière du bateau. Placez votre embarcation sur l'eau, puis déposez une goutte de savon liquide dans le trou. Le bateau est immédiatement propulsé vers l'avant. Pourquoi ? Encore une fois, parce que les molécules de savon veulent absolument s'étaler le plus possible. Partout où les molécules de savon se trouvent, la tension de surface est considérablement abaissée. Cela crée une différence de tension entre les zones du liquide. Voici la situation avant l'ajout de savon dans le trou :
Forces s'exerçant sur le bateau en papier, crédits : Science by Email
Les molécules d'eau exercent une force sur le bateau, mais elles tirent dans toutes les directions. Le bateau ne bouge donc presque pas. Lorsque vous déposez la goutte de savon, la situation change brusquement : la tension de surface chute brutalement dans le trou, et la force qui tire le bateau vers l'arrière devient moins forte que celle qui le tire vers l'avant. Le bateau se met alors en mouvement :
Le bateau est propulsé par la différence de tension de surface, crédits : Science by Email
Au bout de quelques secondes, les molécules de savon se sont complètement étalées à la surface de l'eau, et la tension superficielle est alors homogène. Le bateau n'avance plus, et l'expérience ne peut pas être répétée sans éliminer le savon : il faut changer l'eau du récipient. Si quelqu'un a une vidéo sympa, je suis preneur !

Instant biblique : « Fais-toi une arche en plastique résineux. Tu feras à l'arche un trou dans lequel tu verseras le Palmolive de la paix."

Mesurer la taille d’une molécule de savon

En reprenant le principe de l’expérience précédente, avec un protocole légèrement différent, il est possible de mesurer grossièrement la taille des molécules de savon. Pour vous donner une idée de ce que l'on va faire, regardez cette courte vidéo :


Le matériel nécessaire :

  • du poivre moulu (ou du talc, ou un truc poudreux qui flotte)
  • du liquide vaisselle
  • Un grand saladier, une bassine d'eau, un étang ou un lac

La démultiplication des molécules.

Une goutte de liquide-vaisselle contient beaucoup trop de molécules de savon, il va donc falloir la diluer avant de pouvoir réaliser l'expérience (à moins que vous n'ayez un étang ou une cuve de 10 mètres à portée de main). Les liquides-vaisselle vendus en grande surface sont déjà dilués d’un facteur 5 environ, c'est-à-dire qu’ils contiennent à peu près 20 % de molécules de savon. Pour obtenir une solution encore plus diluée (d'un facteur 100 environ), procédez comme suit.

Versez 50 ml de produit vaisselle dans un récipient d’un litre. Complétez avec de l’eau et remuer pour rendre le mélange homogène. Vous obtenez ainsi une solution diluée 20 fois préparée avec un liquide-vaisselle déjà dilué 5 fois. On a donc une solution diluée 100 fois. Vous pouvez adapter le facteur de dilution en fonction de votre équipement, mais il faudra en tenir compte dans la suite.


Le protocole expérimental : 

Remplissez un grand saladier ou une bassine d’eau. Saupoudrez la surface avec le poivre. Trempez ensuite un cure-dent dans la le liquide-vaisselle dilué et tenez le au-dessus du centre du récipient rempli d’eau, jusqu’à ce qu’une goutte se détache et tombe.

Lorsque la goutte rentre en contact avec l’eau, elle s’étale et chasse le poivre sur une zone qui a la forme d’un disque.


Les molécules de savon se sont réparties à la surface, droites comme des i, du moins c'est ce que l'on suppose ici. Elles forment une sorte de galette super plate. Le volume de cette galette contient forcément la totalité des molécules de savon contenues auparavant dans la goutte de liquide-vaisselle dilué. Autrement dit, la galette a une molécule d’épaisseur. C’est cette épaisseur que nous allons calculer :)
Instant biblique : Les deux femmes se disputaient l'enfant survivant. Salomon réclama une règle et ordonna :"Mesurez le rayon de l'enfant et calculez son volume". Mais les mères qui ne comprenaient pas insistèrent pour qu'on les départage. "Taisez-vous ! Tout serait bien plus simple s'il avait la tête cubique !".

Il nous manque deux informations : la surface de la galette et le volume de la goutte.
Mesurez le rayon R de la galette, ce qui permettra de calculer sa surface S. Dans notre exemple, le disque mesure environ 30 cm de diamètre, c'est-à-dire 0,15 mètres de rayon. La surface S du disque est donc égale à π x R² = π x 0.15² = 0.07 m².

Quant au volume V de la goutte de liquide-vaisselle dilué, il est d’environ 20 mm3, soit 2 x 10–8 m3. Comme le liquide vaisselle est dilué 100 fois, ce sont en réalité 2 x 10–10 m3 de molécules de savon qui ont été versées au centre du récipient.

Vous pouvez maintenant calculer la taille approximative des molécules de savon, qui correspond à l'épaisseur du disque :

L’épaisseur e du disque est donnée par e =V/S

e = 2 x 10–10 / 0.07 = 2.89 x 10–9 mètres, c'est-à-dire presque 3 nanomètres. C’est bien sûr une estimation très approximative, mais ça donne une idée de la taille d'une molécule de savon : on peut en ranger 3 millions sur un millimètre !
Cette expérience est adaptée de celle réalisée par Benjamin Franklin en 1776, qui avait contemplé avec effarement les proportions gigantesque prises par une tâche d'huile à la surface d'un étang. On peut en apprendre davantage en lisant "L’expérience de la tache d’huile de Franklin" sur le blog Science Étonnante.

Bon, je m'arrête ici, la suite au prochain épisode, avec plein de vidéos cools sur les matériaux hydrophobes !

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